Jean-Claude Bouvier (photo MN)
Monsieur le président Muselier, vous savez certainement que deux pétitions circulent actuellement pour demander que le nom de Provence soit donné à notre région en remplacement de la dénomination qui a été adoptée par le Conseil régional le 15 décembre dernier : Sud – Provence –Alpes – Côte d’Azur, avec sa forme réduite Région Sud.
Son histoire est la structure profonde de notre territoire qui explique bien des comportements
L’une a été initiée par M. Hervé Guerrera, conseiller municipal d’Aix-en-Provence, ancien conseiller régional, l’autre par M Marc Dumas, ancien libraire d’Apt, écrivain, ancien président de l’association Alpes de Lumière. L’un et l’autre sont des militants actifs et reconnus pour la diffusion de la langue et de la culture provençales, Hervé Guerrera du côté de l’occitanisme, Marc Dumas du côté du Félibrige mistralien. Leurs deux pétitions connaissent un grand succès et surtout elles ont à mon avis le mérite de rassembler à elles deux des signataires venant de toute la région qui ont des conceptions et des pratiques différentes dans le domaine de l’expression de la langue, mais aussi des citoyens de tous bords qui ne sont pas nécessairement sensibles à la question de la langue.
Je me permets de vous écrire aujourd’hui, parce que, comme vous le savez sans doute, j’ai présidé en 2009 un comité d’experts qui avait été mis en place par le président Michel Vauzelle pour examiner les résultats d’une consultation préalablement engagée sur le nom de la région et pour présenter un certain nombre de propositions. Notre mission n’était pas de proposer un seul nom, mais il est certain que le nom de Provence avait été très majoritairement placé en tête de notre liste, pour des raisons qui me semblent sérieuses.
Ce nom de Provence a d’abord l’immense intérêt d’être simple, facile à identifier, à utiliser et également à dériver : les habitants seront tout simplement les Provençaux, de même que les habitants de la Région Normandie sont des Normands, ou ceux du Piémont des Piémontais, de Bavière des Bavarois…. Des organismes régionaux comme l’ARPE pourront être désignés comme ARPE Provence ou provençale au lieu de l’actuel ARPE PACA, et il en sera de même pour le CRIGE régional ou encore l’Établissement public foncier…… Vous avez eu tout à fait raison de refuser l’emploi de l’affreux acronyme PACA (et à plus forte raison de son dérivé éventuel « pacaïen ») et on ne peut que vous en remercier. Mais je ne pense pas que la forme réduite Région Sud présente la même commodité et surtout la même efficacité que le terme de Provence. Il est évidemment impensable d’appeler les habitants des Sudistes, en raison de la connotation plutôt défavorable que ce nom a pris depuis la guerre de Sécession aux États-Unis. Mais surtout ce terme de Sud me paraît beaucoup trop général et abstrait pour désigner notre région. Le sud n’est pas l’apanage de ce territoire. Deux autres régions françaises dans l’hexagone sont au sud et contiennent même des départements qui poussent des pointes au sud des nôtres. Par ailleurs le sud n’a jamais été, en matière de territoire, une entité bien définie et clairement identifiable, ni sur le plan géographique ni sur le plan historique.
Le nom de Provence est au contraire un nom chargé d’histoire et de prestige, qui a désigné une province au passé brillant. Il me paraît que dans la France d’aujourd’hui et plus encore dans le cadre de l’Union européenne, à laquelle je sais que vous êtes avec raison très attaché, une région appelée tout simplement Provence devrait avoir plus de poids et de rayonnement, à l’instar des Bavière, Piémont, Lombardie, Catalogne (bien sûr, malgré les aléas actuels) ……
Certes je connais l’objection qui est souvent faite à cette proposition. Cette dénomination ne concernerait qu’une partie du territoire de notre Région : les habitants des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes en seraient exclus, car ils n’appartiendraient pas à la Provence dite historique. Mais, sans vouloir y insister longuement, je noterai simplement qu’au cours des âges ce terme a été d’un usage très extensible. Il a désigné des réalités territoriales extrêmement variables. La Provincia des Romains, constituée dès les dernières années du IIe siècle avant J.C., coïncidait à peu près avec la Provence actuelle, mais au Ier siècle ap. J.C. la Narbonensis Provincia est un vaste territoire qui va des Alpes à Toulouse. Quelques siècles plus tard, en 879, le royaume de Provence (capitale Vienne), fondé par Boson, s’étendait du Bugey et de la Bresse jusqu’à la mer, englobant une partie de la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence actuelle, une partie du Languedoc.
En ce qui concerne les Hautes-Alpes, il faut rappeler qu’au Moyen Âge Gap et sa région, Embrun en particulier, étaient rattachés au Comté de Provence, dès la fin du Xe siècle, puis au Comté de Forcalquier réuni ensuite au Comté de Provence : seule la région de Briançon faisait partie dès le XIe siècle des terres dauphinoises du Comte d’Albon.
Du côté oriental, on sait que Nice et son territoire font partie du Comté de Provence, depuis le Xe siècle et que ce même Comté a eu une propension très forte à s’étendre vers l’est : au XIIIe s. Charles d’Anjou acquiert Sospel, Breil et Saorge à l’extrémité orientale des Alpes- Maritimes actuelles. La sécession de Nice et son rattachement à la maison de Savoie interviendront en 1388 seulement, comme une conséquence du conflit, provoqué en Provence par la succession de la reine Jeanne, entre les forces de Louis d’Anjou et celles de Charles Duras.
Bien sûr, direz-vous, cela est exact, mais le temps a passé, nous ne sommes plus au Moyen Âge et il faut tenir compte des réalités d’aujourd’hui. Certes, mais si j’ai rappelé ces données de l’histoire, c’est parce que ce sont des structures profondes de notre territoire, elles sous-tendent et expliquent bien des comportements et des habitudes de vivre aussi bien économiques ou commerciales que linguistiques et culturelles qui se sont développées dans notre région.
Du point de vue linguistique par exemple, c’est la même langue patrimoniale qui s’est imposée sur tout le territoire de la Région actuelle : la langue d’oc, appelée provençal dans l’usage traditionnel des habitants. Cette langue a suscité partout des troubadours au Moyen Âge, s’est maintenue partout plus ou moins jusqu’à aujourd’hui, dans l’oral et dans l’écrit, grâce à l’engagement associatif, à l’enseignement, à l’animation culturelle, au soutien des médias et des collectivités locales, dont bien sûr la Région. Elle a façonné le français que nous parlons. En elle-même et par la culture dont elle est porteuse, elle est un élément essentiel de notre identité régionale.
L’ouvrage que j’ai publié récemment avec Claude Martel, La langue d’oc telle qu’on la parle, Atlas linguistique de la Provence, aux Ėditions d’Alpes de Lumière, avec le soutien financier de la Région, montre bien à quel point la langue est un révélateur de la diversité, de l’unité et de la cohérence de cette région. La Provence délimitée par les cartes de cet Atlas est bien la Provence linguistique : elle comprend l’ensemble des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, mais aussi la Drôme qui est dans une autre Région tout en faisant partie du même ensemble linguistique. Mais surtout ce que révèlent les cartes, c’est à la fois l’existence de différenciations dialectales – Provence rhodanienne, maritime, alpine en particulier – et de phénomènes de rencontres, d’échanges linguistiques et culturels entre nord et sud, est et ouest, en relation évidente avec les échanges commerciaux, économiques, touristiques… d’hier et d’aujourd’hui, qui ont été favorisés par les grandes voies de communication, maritimes, fluviales et routières.
Pour toutes ces raisons, il me semble que l’emploi du terme Provence pour désigner notre Région serait tout à fait justifié et que ce serait un atout important pour en favoriser le développement et le rayonnement. Bien sûr je ne sous-estime pas les réticences qui se sont déjà manifestées et qui réapparaîtront. Mais il me semble aussi que les comportements évoluent et qu’en raison de sa plasticité historique et de son prestige ce nom de Provence peut très bien être accepté aujourd’hui par une grande majorité des habitants. Il faudrait simplement un effort pédagogique pour expliquer qu’en choisissant ce nom on ne gomme pas les particularités locales, mais qu’on a le souci de les rassembler dans une dénomination à la fois simple et ambitieuse qui devrait avoir un effet dynamisant.
Je vous remercie à l’avance de l’attention que vous voudrez bien porter à cette lettre et je me tiens à votre disposition pour approfondir avec vous les questions qui sont ainsi posées. Veuillez croire à l’expression de mes sentiments distingués.
Je me permets de vous écrire aujourd’hui, parce que, comme vous le savez sans doute, j’ai présidé en 2009 un comité d’experts qui avait été mis en place par le président Michel Vauzelle pour examiner les résultats d’une consultation préalablement engagée sur le nom de la région et pour présenter un certain nombre de propositions. Notre mission n’était pas de proposer un seul nom, mais il est certain que le nom de Provence avait été très majoritairement placé en tête de notre liste, pour des raisons qui me semblent sérieuses.
Ce nom de Provence a d’abord l’immense intérêt d’être simple, facile à identifier, à utiliser et également à dériver : les habitants seront tout simplement les Provençaux, de même que les habitants de la Région Normandie sont des Normands, ou ceux du Piémont des Piémontais, de Bavière des Bavarois…. Des organismes régionaux comme l’ARPE pourront être désignés comme ARPE Provence ou provençale au lieu de l’actuel ARPE PACA, et il en sera de même pour le CRIGE régional ou encore l’Établissement public foncier…… Vous avez eu tout à fait raison de refuser l’emploi de l’affreux acronyme PACA (et à plus forte raison de son dérivé éventuel « pacaïen ») et on ne peut que vous en remercier. Mais je ne pense pas que la forme réduite Région Sud présente la même commodité et surtout la même efficacité que le terme de Provence. Il est évidemment impensable d’appeler les habitants des Sudistes, en raison de la connotation plutôt défavorable que ce nom a pris depuis la guerre de Sécession aux États-Unis. Mais surtout ce terme de Sud me paraît beaucoup trop général et abstrait pour désigner notre région. Le sud n’est pas l’apanage de ce territoire. Deux autres régions françaises dans l’hexagone sont au sud et contiennent même des départements qui poussent des pointes au sud des nôtres. Par ailleurs le sud n’a jamais été, en matière de territoire, une entité bien définie et clairement identifiable, ni sur le plan géographique ni sur le plan historique.
Le nom de Provence est au contraire un nom chargé d’histoire et de prestige, qui a désigné une province au passé brillant. Il me paraît que dans la France d’aujourd’hui et plus encore dans le cadre de l’Union européenne, à laquelle je sais que vous êtes avec raison très attaché, une région appelée tout simplement Provence devrait avoir plus de poids et de rayonnement, à l’instar des Bavière, Piémont, Lombardie, Catalogne (bien sûr, malgré les aléas actuels) ……
Certes je connais l’objection qui est souvent faite à cette proposition. Cette dénomination ne concernerait qu’une partie du territoire de notre Région : les habitants des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes en seraient exclus, car ils n’appartiendraient pas à la Provence dite historique. Mais, sans vouloir y insister longuement, je noterai simplement qu’au cours des âges ce terme a été d’un usage très extensible. Il a désigné des réalités territoriales extrêmement variables. La Provincia des Romains, constituée dès les dernières années du IIe siècle avant J.C., coïncidait à peu près avec la Provence actuelle, mais au Ier siècle ap. J.C. la Narbonensis Provincia est un vaste territoire qui va des Alpes à Toulouse. Quelques siècles plus tard, en 879, le royaume de Provence (capitale Vienne), fondé par Boson, s’étendait du Bugey et de la Bresse jusqu’à la mer, englobant une partie de la Bourgogne, le Dauphiné, la Provence actuelle, une partie du Languedoc.
En ce qui concerne les Hautes-Alpes, il faut rappeler qu’au Moyen Âge Gap et sa région, Embrun en particulier, étaient rattachés au Comté de Provence, dès la fin du Xe siècle, puis au Comté de Forcalquier réuni ensuite au Comté de Provence : seule la région de Briançon faisait partie dès le XIe siècle des terres dauphinoises du Comte d’Albon.
Du côté oriental, on sait que Nice et son territoire font partie du Comté de Provence, depuis le Xe siècle et que ce même Comté a eu une propension très forte à s’étendre vers l’est : au XIIIe s. Charles d’Anjou acquiert Sospel, Breil et Saorge à l’extrémité orientale des Alpes- Maritimes actuelles. La sécession de Nice et son rattachement à la maison de Savoie interviendront en 1388 seulement, comme une conséquence du conflit, provoqué en Provence par la succession de la reine Jeanne, entre les forces de Louis d’Anjou et celles de Charles Duras.
Bien sûr, direz-vous, cela est exact, mais le temps a passé, nous ne sommes plus au Moyen Âge et il faut tenir compte des réalités d’aujourd’hui. Certes, mais si j’ai rappelé ces données de l’histoire, c’est parce que ce sont des structures profondes de notre territoire, elles sous-tendent et expliquent bien des comportements et des habitudes de vivre aussi bien économiques ou commerciales que linguistiques et culturelles qui se sont développées dans notre région.
Du point de vue linguistique par exemple, c’est la même langue patrimoniale qui s’est imposée sur tout le territoire de la Région actuelle : la langue d’oc, appelée provençal dans l’usage traditionnel des habitants. Cette langue a suscité partout des troubadours au Moyen Âge, s’est maintenue partout plus ou moins jusqu’à aujourd’hui, dans l’oral et dans l’écrit, grâce à l’engagement associatif, à l’enseignement, à l’animation culturelle, au soutien des médias et des collectivités locales, dont bien sûr la Région. Elle a façonné le français que nous parlons. En elle-même et par la culture dont elle est porteuse, elle est un élément essentiel de notre identité régionale.
L’ouvrage que j’ai publié récemment avec Claude Martel, La langue d’oc telle qu’on la parle, Atlas linguistique de la Provence, aux Ėditions d’Alpes de Lumière, avec le soutien financier de la Région, montre bien à quel point la langue est un révélateur de la diversité, de l’unité et de la cohérence de cette région. La Provence délimitée par les cartes de cet Atlas est bien la Provence linguistique : elle comprend l’ensemble des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, mais aussi la Drôme qui est dans une autre Région tout en faisant partie du même ensemble linguistique. Mais surtout ce que révèlent les cartes, c’est à la fois l’existence de différenciations dialectales – Provence rhodanienne, maritime, alpine en particulier – et de phénomènes de rencontres, d’échanges linguistiques et culturels entre nord et sud, est et ouest, en relation évidente avec les échanges commerciaux, économiques, touristiques… d’hier et d’aujourd’hui, qui ont été favorisés par les grandes voies de communication, maritimes, fluviales et routières.
Pour toutes ces raisons, il me semble que l’emploi du terme Provence pour désigner notre Région serait tout à fait justifié et que ce serait un atout important pour en favoriser le développement et le rayonnement. Bien sûr je ne sous-estime pas les réticences qui se sont déjà manifestées et qui réapparaîtront. Mais il me semble aussi que les comportements évoluent et qu’en raison de sa plasticité historique et de son prestige ce nom de Provence peut très bien être accepté aujourd’hui par une grande majorité des habitants. Il faudrait simplement un effort pédagogique pour expliquer qu’en choisissant ce nom on ne gomme pas les particularités locales, mais qu’on a le souci de les rassembler dans une dénomination à la fois simple et ambitieuse qui devrait avoir un effet dynamisant.
Je vous remercie à l’avance de l’attention que vous voudrez bien porter à cette lettre et je me tiens à votre disposition pour approfondir avec vous les questions qui sont ainsi posées. Veuillez croire à l’expression de mes sentiments distingués.