Même une marseillaise de circonstances comme la milliardaire Mary Jane Gold figure dans Marseille Cultures (photo XDR)
Les « beaux livres » tombent souvent des mains, et pas seulement parce qu’ils sont lourds. Tel n’est pas le cas de Marseille Cultures que Jean Contrucci et Gilles Rof signent chez l’éditeur HC. Le livre n’est lourd que par son poids, et légères sembleront les heures qu'on y aura passé.
Cette vaste fresque du monde de la création artistique à Marseille vise à l’exhaustif, même si les auteurs s’en défendent en affirmant : « les choix sont subjectifs, ils étaient inévitables ». Pourtant l’ouvrage fourmille d’informations, de détails, de portraits, qui étonneront même les coureurs d’expositions, les habitués des salles de concert ou les arpenteurs de musées.
Les deux auteurs sont journalistes, ils ont le sens de l’enquête bien menée, mais ils ont aussi fréquenté bien des gens dont ils parlent, connu souvent les dessous de tel départ, de telle arrivée. Jean Contrucci qui a sué au groupe du Provençal sur une plus longue période ; Gilles Roff, qui a passé dix ans à l’Hebdomadaire, de façon pointue sur les années les plus récentes.
Les figures tutélaires et les personnages hauts en couleurs y sont, bien sûr. Les événements marquants, les actes signifiants de la culture à Marseille sont là aussi. En quelques phrases tout est mis en perspective.
Cette vaste fresque du monde de la création artistique à Marseille vise à l’exhaustif, même si les auteurs s’en défendent en affirmant : « les choix sont subjectifs, ils étaient inévitables ». Pourtant l’ouvrage fourmille d’informations, de détails, de portraits, qui étonneront même les coureurs d’expositions, les habitués des salles de concert ou les arpenteurs de musées.
Les deux auteurs sont journalistes, ils ont le sens de l’enquête bien menée, mais ils ont aussi fréquenté bien des gens dont ils parlent, connu souvent les dessous de tel départ, de telle arrivée. Jean Contrucci qui a sué au groupe du Provençal sur une plus longue période ; Gilles Roff, qui a passé dix ans à l’Hebdomadaire, de façon pointue sur les années les plus récentes.
Les figures tutélaires et les personnages hauts en couleurs y sont, bien sûr. Les événements marquants, les actes signifiants de la culture à Marseille sont là aussi. En quelques phrases tout est mis en perspective.
Pertinent sur le plan occitan
Ce que nous avons particulièrement apprécié, c’est que, contrairement à l’officielle « Capitale de la culture 2013 », l’ouvrage qui trouve sa justification dans la proximité de cet évènement, ne fait pas l’impasse sur les traits, les actes et les personnages qui, dans l’histoire ou dans le récent passé, relèvent de la culture occitane à Marseille.
Cette mise en lumière passe de chapitre en chapitre, celui sur la musique y a droit, celui sur la littérature aussi.
Très pertinent par exemple est le focus consacré à la musique occitane, qui cherche à penser le pourquoi de cette émergence dans les années 90. Le revival òc, qui accompagne l’attitude « fier d’être Marseillais », s’amplifie alors que la ville perd ses industries et que les édiles ne parlent que tourisme. « Des métallos – moins de pédalos » chante alors le Massila Sound System, en 1995. Avec le recul il devient évident que ces groupes òc ont affrimé à un moment clef le caractère populaire de la ville-port.
« Dans le sillage du Massilia, la langue d’Oc est redevenue un vecteur de création musicale, un symbole de contre-culture et de fête chez les jeunes générations » écrivent les auteurs. Et, en effet, face à la gentryfication de la cité, la « Chourmo » propose une convivialité toute occitane, pendant que les ragga-balètis donnent à la fête un sens bien éloigné des pince-fesse vaguement latinos d’une ville qui se dit méditerranéenne, mais où il est de bon ton de nier la culture du peuple.
Et on peut donc s’amuser à rechercher là-dedans tout ce qui aurait dû y être, et qui n’y est pas. La récolte sera maigre.
Cette mise en lumière passe de chapitre en chapitre, celui sur la musique y a droit, celui sur la littérature aussi.
Très pertinent par exemple est le focus consacré à la musique occitane, qui cherche à penser le pourquoi de cette émergence dans les années 90. Le revival òc, qui accompagne l’attitude « fier d’être Marseillais », s’amplifie alors que la ville perd ses industries et que les édiles ne parlent que tourisme. « Des métallos – moins de pédalos » chante alors le Massila Sound System, en 1995. Avec le recul il devient évident que ces groupes òc ont affrimé à un moment clef le caractère populaire de la ville-port.
« Dans le sillage du Massilia, la langue d’Oc est redevenue un vecteur de création musicale, un symbole de contre-culture et de fête chez les jeunes générations » écrivent les auteurs. Et, en effet, face à la gentryfication de la cité, la « Chourmo » propose une convivialité toute occitane, pendant que les ragga-balètis donnent à la fête un sens bien éloigné des pince-fesse vaguement latinos d’une ville qui se dit méditerranéenne, mais où il est de bon ton de nier la culture du peuple.
Et on peut donc s’amuser à rechercher là-dedans tout ce qui aurait dû y être, et qui n’y est pas. La récolte sera maigre.
Le groupe Quartiers Nord en 2007, un rock marqué par son origine socio géographique (photo Frédéric Pauvarel DR)
De Reboul à Gelu, des lacunes
Tout de même, avoir zappé le météore Armand Gatti, venu en 1993 créer avec des chômeurs « Adam qui ? », sur l’idée que les déportés du quartier de l’Opéra, en 1943, ne pouvaient être oubliés, c’est un oubli de taille.
Ne pas savoir que Marseille a été en pointe dans la conception de spectacles poétiques pour enfants ou en matière d’invitation au rêve artistique, aura aussi conduit les auteurs à ignorer deux institutions telles que le Badaboum Théâtre et le Préau des Accoules. C’est ennuyeux puisque ces deux lieux ont sans doute comptés pour former le goût des jeunes adultes qui courent maintenant les lieux culturels.*
Ne pas connaître (reconnaître) un poète tel que Jorgi Reboul est également dommage, pour l’homme qui, « Sens Relàmbi » a animé la vie régionaliste, des années 1930 jusqu’à l’aube des 70s. Ignorer son action de cotria avec Pèire Rouquette en faveur des intellectuels catalans en 1936-39, c'est perpétuer un sacré trou de mémoire collective. Et si Valère Bernard est bien présent dans l’ouvrage, dans toutes ses dimensions, c’est par excès de zèle que les auteurs pêchent à propos de Victor Gelu.
On ne peut en effet souscrire à l’idée des deux auteurs selon laquelle « on avait perdu sa langue jusqu’à ce que Manu Théron, descendant spirituel, enregistre et diffuse à nouveau ses chansons en 2007 avec Chi na na poun ». L’animateur de la vie musicale de La Plaine a certes eu un rôle majeur pour faire émerger à nouveau cette sorte d’anarchiste flamboyant qu’était Gelu, mais comment oublier que ses textes étaient mis en valeur trente ans avant par Glaudi Barsotti, qu’on eut pu citer pour l’ensemble de ses travaux, eux qui parlent tout autant de la pastorale que de l’opérette ? Et qu’il est triste de constater que la « Veusa metge » de Gelu, sublimement interprétée au disque par Frédéric Bard vers 1977, soit ainsi passée à la trappe !
Ne pas savoir que Marseille a été en pointe dans la conception de spectacles poétiques pour enfants ou en matière d’invitation au rêve artistique, aura aussi conduit les auteurs à ignorer deux institutions telles que le Badaboum Théâtre et le Préau des Accoules. C’est ennuyeux puisque ces deux lieux ont sans doute comptés pour former le goût des jeunes adultes qui courent maintenant les lieux culturels.*
Ne pas connaître (reconnaître) un poète tel que Jorgi Reboul est également dommage, pour l’homme qui, « Sens Relàmbi » a animé la vie régionaliste, des années 1930 jusqu’à l’aube des 70s. Ignorer son action de cotria avec Pèire Rouquette en faveur des intellectuels catalans en 1936-39, c'est perpétuer un sacré trou de mémoire collective. Et si Valère Bernard est bien présent dans l’ouvrage, dans toutes ses dimensions, c’est par excès de zèle que les auteurs pêchent à propos de Victor Gelu.
On ne peut en effet souscrire à l’idée des deux auteurs selon laquelle « on avait perdu sa langue jusqu’à ce que Manu Théron, descendant spirituel, enregistre et diffuse à nouveau ses chansons en 2007 avec Chi na na poun ». L’animateur de la vie musicale de La Plaine a certes eu un rôle majeur pour faire émerger à nouveau cette sorte d’anarchiste flamboyant qu’était Gelu, mais comment oublier que ses textes étaient mis en valeur trente ans avant par Glaudi Barsotti, qu’on eut pu citer pour l’ensemble de ses travaux, eux qui parlent tout autant de la pastorale que de l’opérette ? Et qu’il est triste de constater que la « Veusa metge » de Gelu, sublimement interprétée au disque par Frédéric Bard vers 1977, soit ainsi passée à la trappe !
Jorgi Reboul après guerre à Allauch. L'animateur de la vie occitane aurait mérité d'être cité (photo XDR)
Compte rendu plein de sens
Claude Mckay, le Marseille de La Fosse dans les années 20 (XDR)
Il serait injuste d’en rester aux manques d’un ouvrage qui en contient si peu et qui a réclamé un travail de Romain Sans lui, des auteurs tels que Mary Jane Gold ou Mary Frances Kennedy, resteraient ultra confidentiels. Il faut plutôt conseiller de s’arrêter longuement aux chapitres consacrés au théâtre sous (presque) toutes ses formes, pour être informé par le menu de l’action de défricheurs, bousculeurs de léthargie qui ont payé de leur personne pour que Marseille soit la ville où l’intelligence s’exprime le mieux sur scène.
Ainsi on peut refaire en une page tout le parcours d’un Maurice Vinçon, créant dans l’enthousiasme des salles jaugeant 70 places ou l’on fait jouer le jeune philippe Caubère, pour ensuite retaper un vieux cinoche à peine plus grand pour créer le Théâtre de Lenche.
Bref, « Marseille Cultures » pose vraiment la cité comme un cœur palpitant de la culture et de son rapport au réel, aux crises, aux idées. Le livre apparaît à l’occasion de MP2013, dont on est moins sûr qu’elle ne cherchera pas à montrer un visage de Marseille qui n’est pas le sien.
*L'absence d'index nous contraint à chercher longuement dans le texte à la recherche des noms que, parfois, nous ne trouvons pas. Que lecteurs et auteurs veuillent bien nous excuser si les manques soulignés ont pu paraître injustes.
Marseille Cultures, de Jean Contrucci et Gilles Rof (avec une dizaine de contributeurs dont … et …),
Hélas l’ouvrage ne propose pas d’index, qui aurait été plus qu’utile en regard de la multiplicité des noms propres qu’on y rencontre.
Ainsi on peut refaire en une page tout le parcours d’un Maurice Vinçon, créant dans l’enthousiasme des salles jaugeant 70 places ou l’on fait jouer le jeune philippe Caubère, pour ensuite retaper un vieux cinoche à peine plus grand pour créer le Théâtre de Lenche.
Bref, « Marseille Cultures » pose vraiment la cité comme un cœur palpitant de la culture et de son rapport au réel, aux crises, aux idées. Le livre apparaît à l’occasion de MP2013, dont on est moins sûr qu’elle ne cherchera pas à montrer un visage de Marseille qui n’est pas le sien.
*L'absence d'index nous contraint à chercher longuement dans le texte à la recherche des noms que, parfois, nous ne trouvons pas. Que lecteurs et auteurs veuillent bien nous excuser si les manques soulignés ont pu paraître injustes.
Marseille Cultures, de Jean Contrucci et Gilles Rof (avec une dizaine de contributeurs dont … et …),
Hélas l’ouvrage ne propose pas d’index, qui aurait été plus qu’utile en regard de la multiplicité des noms propres qu’on y rencontre.