
Mais tout ceci ne serait « qu’un petit tour de piste qu’on demande d’effectuer aux députés », selon le parlementaire UMP breton Marc Le Fur, partisan engagé de cette signature.
C’est que les difficultés juridiques n’ont pas manquées, et ne manqueront pas, avant que la France ne ratifie ce texte, adopté formellement le 7 mai 1999, et depuis retoqué par le Conseil Constitutionnel avec une belle constance.
Le texte adopté par la Commission des Lois le 14 janvier 2014 et soumis au débat du Parlement le 22, pour que celui-ci en discute au préalable les amendements, ne comporte qu’un article. Mais la Commission des lois animée par le député Jean-Jacques Urvoas a cru bon de lui ajouter une déclaration interprétative précisant que les groupes linguistiques n’ont aucun droit particulier.
Bon nombre de députés, Bretons, Corses, Alsaciens, Martiniquais, Occitans, se sont exprimés pour dire leur joie de voir enfin l’Assemblé Nationale contourner les barrières constitutionnelles mises à ce texte.
« Les langues de France ont un destin commun, et quand la dernière aura vécu le compte à rebours commencera pour le français » a ainsi déclaré Jean Lassalle.
« Il n’y a pas d’avenir commun sans valorisation de notre histoire » a pu dire le député alsacien SRC Armand Jung.
« Je ne sais quel fantôme de séparatisme on fait planer sur cette assemblée » s’est étonné le député corse RRDP Paul Giaccobi. « Citez-moi un pays démembré à cause de la signature de la charte européenne » a demandé le député GDR martiniquais Alfred Marie-Jeanne.
Un seul article mais un long préambule "interprétatif" destiné à rassurer les partisans de la langue unique

Il n’était pas seul à estimer que l’unité de la Nation se confond avec la langue constitutionnelle unique.
Ainsi l’unique députée du Front National Marion Maréchal-Le Pen a-t-elle assuré que la charte européenne des langues régionales contenait en germe un problème : « le glissement vers l’arabe ou le roumain, un risque majeur de balkanisation ».*
Elle se déclarera donc hostile à la charte « au nom de l’unité de la Nation et de la défense du français »…et parce qu’elle y voit le signe d’un effacement de l’Etat, laissant place au leadership de l’Europe et des Régions.
Mais avec des options politiques différentes, Marie-Françoise Bechtel (SRC, Aisne) a, elle, soutenu que la signature de la Charte « permettra d’obliger un fonctionnaire à parler une langue locale…et induira dans les services publics la création de files d’attente en fonction de la langue parlée ».
Conseiller d’Etat, cette ancienne directrice de l’ENA et membre du premier cercle des proches de Jean-Pierre Chevènement, craint publiquement que « cela n’oblige l’Etat à financer massivement l’enseignement (des langues régionales) y compris immersif ».
Un "petit tour de piste parlementaire" dénué d'efficacité ?

En effet, pour sauter l’obstacle du Conseil Constitutionnel il est nécessaire d’inscrire la ratification de la Charte Européenne des Langues Régionales dans la Constitution. C’est ce à quoi vise le débat parlementaire.
Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, qui le promeut, n’en est pourtant pas l’auteur. « Le Gouvernement a voulu laisser l’Assemblée en discuter sans l’influencer. Son but, c’est la recherche d’un texte efficace », c’est-à-dire qui recueille 3/5è des parlementaires, députés et sénateurs, réunis en congrès afin de modifier la Constitution.
C’est justement le problème qu’a soulevé Marc Le Fur. Le député breton UMP estime que le gouvernement incite les législateurs à « effectuer un petit tout de piste ». Eut-ce été un « projet gouvernemental », il aurait été immédiatement soumis au vote, puis serait passé au Sénat dans des délais courts.
Le député d’opposition regrette donc qu’une simple « proposition de loi », ne doive prendre plus de temps… « Or, si les sénateurs sont aujourd’hui acquis à la ratification, les prochaines élections sénatoriales renouvelleront cette assemblée de moitié » mettant en danger toute la procédure.
Au contraire, pour la ministre, la procédure faisant partir la démarche de l’Assemblée Nationale devait éviter d’en faire une affaire opposant majorité et opposition.

Vers 2 h du matin le 23 janvier, les rares députés présents dans l’Hémicycle ont accepté que la proposition de loi serait soumise au parlement le 28 janvier 2014, après qu'ils aient rejetés la demi-douzaine d'amendements proposés par leurs collègues.
* Mme Le Pen semble ignorer que l'Arménien "de France" et le Berbère sont d'ores et déjà considérés comme langues de France et donc concernées par l'article 75.1 de la Constitution, qui les regarde comme faisant partie du patrimoine de la France. L'une s'est transformée au contact des deux cultures depuis les années 1920 et l'exode arménien, l'autre n'étant pas reconnue langue nationale dans les pays du Maghreb, peut l'être par la France.
Voir aussi le débat du 22-23 janvier 2014