Photo Michel Neyton DR
Mon intention n’était pas de refaire le procès ou de découvrir qui a assassiné la famille Drummonds, une nuit de l’été 1952 à Lurs. Il est probable que personne ne pourra jamais le dire avec certitude.
En revanche je suis certain que Gaston Dominici, le patriarche, a été condamné parce qu’il concentrait les préjugés de l’époque. Coupable idéal, il l’était parce qu’il ne parlait pas le langage de ceux qui le jugeaient.
En revanche je suis certain que Gaston Dominici, le patriarche, a été condamné parce qu’il concentrait les préjugés de l’époque. Coupable idéal, il l’était parce qu’il ne parlait pas le langage de ceux qui le jugeaient.
Roland Barthes : "on lui a volé son langage au nom du langage...tous les meurtres légaux commencent par là"
C’est de cela, et de lui, que j’ai eu l’ambition de parler au mieux. Jean Giono, qui a suivi toutes les audiences, à l’époque, écrira : « Nous sommes dans un procès de mots… nous sommes dans un total malentendu de syntaxe… Tout accusé disposant d'un vocabulaire de deux mille mots serait sorti à peu près indemne de ce procès. »
Roland Barthes, dans Mythologies, a montré que la psychologie que la société prête à Gaston en fait un coupable. Car de preuves matérielles, il n’y en a point. Et il rapporte ce dialogue entre juges et accusé : « Êtes-vous allé au pont ? – Allée ? Il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été ». Il sera donc allé au pont où ce jour-là il n’avait pas été…
Gaston Dominici parlait communément provençal, et ses juges s’exprimaient avec lui dans le langage particulier du français juridique. Comment pouvait-il seulement comprendre les questions qu’on lui posait ? Giono encore, avisant le greffier, lui demande s’il note scrupuleusement les paroles de Gaston, et l’homme de loi lui répond affirmativement, mais qu’il traduit en bon français ce que Dominici dit. C’est sur des malentendus linguistiques que le patriarche sera jugé menteur, comédien, coupable enfin.
Ce personnage s’inscrit aussi dans un milieu et dans une histoire. Dans cette famille où tous semblent mentir et se contredire, dans ce milieu où les souvenirs frais de la Résistance semblent jouer aussi un rôle, voyons mieux qui est Gaston Dominici.
Né de père inconnu, d’une mère qui collectionne les amants et le laisse orphelin très tôt, Dominici est « éduqué » par les pères. Placé chez un fermier, il en épouse la fille sans comprendre vraiment comment cela est rendu possible, jusqu’à la nuit de noce, quand l’épousée lui apprend qu’elle est déjà enceinte d’un autre.
Face à ce personnage blessé par la vie, du début à la fin de celle-ci, on met des juges qui ne sont pas hostiles, mais qui simplement agissent et réagissent avec d’autres codes. Ne leur demandons pas tout de même de se mettre à son niveau et de parler occitan ! Mais reconnaissons que dès le début du procès il est privé de la nécessaire compréhension des mots, donc de tout moyen de s’exprimer.
La pression de l’opinion française - et anglaise - est telle, alors, qu’il faut un coupable et une condamnation à mort. Gaston a 75 ans, tous savent qu’en raison de son âge il ne sera pas exécuté. Et comme après plus d’un an, on ne trouve pas de coupable, le voici tout désigné.
Voilà quelques années, j’ai écrit un autre drame du préjugé et de l’incompréhension dans un monde qui, changeant, écrase les inadaptés. La légende noire du soldat O, fusillé en 1914 parce que Méridional, en fin de compte pour correspondre à la vision de l’homme méridional, supposé sauvage, qui est courante alors et donne libre cours à un véritable racisme très partagé au sein de l’intelligentsia.
Avec Dominici nous sommes dans un contexte qui, certes a évolué, mais dans une société qui juge toujours autant sur l’apparence et la représentation qu’elle a de l’autre, du différent. Je propose cette pièce en deux versions : une dans laquelle le provençal est seulement présent comme témoignage et élément de compréhension sociologique de ce que dit la pièce. Et une dans laquelle l’occitan est très présent.
J’ai ainsi le sentiment de rendre à Dominici ce qui lui a été refusé en son temps, une forme de dignité et de vérité dont ses juges et nombre de journaux - Le Monde en tête – l’ont dépouillé. Avant de décider de lui ôter la tête on avait commencé comme le dit Barthes, « à lui voler son langage au nom même du langage, tous les meurtres légaux commençant par là. »
Moi Gaston Dominici assassin par défaut - Séance spéciale en collaboration avec l’IEO-13, vendredi 18 novembre, 20h30 au Théâtre des Chartreux, 105 Avenue des Chartreux, 13004 Marseille, tel. 04 91 50 18 90 – métro Chartreux. Prix 12€ et 6€ pour les adhérents de l’IEO-13.Deux autres séances, avec dominante de français dans le texte, les 19 et 20 novembre.
Roland Barthes, dans Mythologies, a montré que la psychologie que la société prête à Gaston en fait un coupable. Car de preuves matérielles, il n’y en a point. Et il rapporte ce dialogue entre juges et accusé : « Êtes-vous allé au pont ? – Allée ? Il n’y a pas d’allée, je le sais, j’y suis été ». Il sera donc allé au pont où ce jour-là il n’avait pas été…
Gaston Dominici parlait communément provençal, et ses juges s’exprimaient avec lui dans le langage particulier du français juridique. Comment pouvait-il seulement comprendre les questions qu’on lui posait ? Giono encore, avisant le greffier, lui demande s’il note scrupuleusement les paroles de Gaston, et l’homme de loi lui répond affirmativement, mais qu’il traduit en bon français ce que Dominici dit. C’est sur des malentendus linguistiques que le patriarche sera jugé menteur, comédien, coupable enfin.
Ce personnage s’inscrit aussi dans un milieu et dans une histoire. Dans cette famille où tous semblent mentir et se contredire, dans ce milieu où les souvenirs frais de la Résistance semblent jouer aussi un rôle, voyons mieux qui est Gaston Dominici.
Né de père inconnu, d’une mère qui collectionne les amants et le laisse orphelin très tôt, Dominici est « éduqué » par les pères. Placé chez un fermier, il en épouse la fille sans comprendre vraiment comment cela est rendu possible, jusqu’à la nuit de noce, quand l’épousée lui apprend qu’elle est déjà enceinte d’un autre.
Face à ce personnage blessé par la vie, du début à la fin de celle-ci, on met des juges qui ne sont pas hostiles, mais qui simplement agissent et réagissent avec d’autres codes. Ne leur demandons pas tout de même de se mettre à son niveau et de parler occitan ! Mais reconnaissons que dès le début du procès il est privé de la nécessaire compréhension des mots, donc de tout moyen de s’exprimer.
La pression de l’opinion française - et anglaise - est telle, alors, qu’il faut un coupable et une condamnation à mort. Gaston a 75 ans, tous savent qu’en raison de son âge il ne sera pas exécuté. Et comme après plus d’un an, on ne trouve pas de coupable, le voici tout désigné.
Voilà quelques années, j’ai écrit un autre drame du préjugé et de l’incompréhension dans un monde qui, changeant, écrase les inadaptés. La légende noire du soldat O, fusillé en 1914 parce que Méridional, en fin de compte pour correspondre à la vision de l’homme méridional, supposé sauvage, qui est courante alors et donne libre cours à un véritable racisme très partagé au sein de l’intelligentsia.
Avec Dominici nous sommes dans un contexte qui, certes a évolué, mais dans une société qui juge toujours autant sur l’apparence et la représentation qu’elle a de l’autre, du différent. Je propose cette pièce en deux versions : une dans laquelle le provençal est seulement présent comme témoignage et élément de compréhension sociologique de ce que dit la pièce. Et une dans laquelle l’occitan est très présent.
J’ai ainsi le sentiment de rendre à Dominici ce qui lui a été refusé en son temps, une forme de dignité et de vérité dont ses juges et nombre de journaux - Le Monde en tête – l’ont dépouillé. Avant de décider de lui ôter la tête on avait commencé comme le dit Barthes, « à lui voler son langage au nom même du langage, tous les meurtres légaux commençant par là. »
Moi Gaston Dominici assassin par défaut - Séance spéciale en collaboration avec l’IEO-13, vendredi 18 novembre, 20h30 au Théâtre des Chartreux, 105 Avenue des Chartreux, 13004 Marseille, tel. 04 91 50 18 90 – métro Chartreux. Prix 12€ et 6€ pour les adhérents de l’IEO-13.Deux autres séances, avec dominante de français dans le texte, les 19 et 20 novembre.