Le Grand Prix Littéraire de Provence à Ventabren, pour ce qui est des auteurs de langue d’oc, n’avait pas été décerné à une femme depuis les années 1990. trente ans après Pierrette Berengier, il sera attribué dimanche 22 septembre à Céline Magrini. Mais qui êtes vous Céline ?
J’enseigne le provençal en lycée à Avignon, et à vrai dire je suis revenue à la vie professionnelle depuis peu, après dix ans d’interruption. J’ai été tellement surprise que le jury m’attribue ce prix ! Jean-Luc Domenge, Robert Lafont, Serge Bec… rejoindre cette liste prestigieuse, c’est impressionnant.
Le mieux probablement serait de vous laisser vous présenter.
Je suis Avignonnaise, et j’ai publié plusieurs ouvrages dont une thèse de doctorat sur la littérature rhodanienne provençale et française, qui m’a pris plusieurs années de travail intense. J’étais une jeune fille bizarre… de 20 à 30 ans j’ai passé mon temps dans la poussière des bibliothèques partout où la littérature rhodanienne m’entraînait ! Durant ces années de thèse, et aussi après, j’ai enseigné au collège, au lycée, à l’Université, principalement la langue et la littérature provençales. J’ai publié de nombreuses études sur plusieurs grands écrivains et poètes provençaux, notamment sur Max-Philippe Delavouët.
De la bibliothèque à la scène
Comment êtes-vous venue au provençal ?
Mon grand–père, Italien arrivé à Avignon quand il n’était qu’un bébé, nous parlait de temps en temps en provençal, il chantait « Magali ». Comme la plupart des enfants du pays, bien sûr, j’avais la langue dans l’oreille. Quand j’étais étudiante, je me destinais à l’enseignement, mais pas forcément en provençal. J’étais passionnée par les pédagogies alternatives, j’aurais pu enseigner dans une école Montessori, et c’était d’ailleurs mon projet professionnel que d’en créer une. Juste avant d’entrer à la fac, j’avais lu le Poème du Rhône, qui m’avait donné envie de le connaître dans le texte original, et j’ai donc décidé d’apprendre le provençal en entrant à l’Université, et aussi pour la raison que c’était la langue de ma région et j’estimais que ce serait dommage de ne pas la connaître. Et puis très vite je me suis retrouvée propulsée dans l’enseignement du provençal et dans la recherche universitaire.
Le jury a considéré que votre carrière artistique comptait aussi pour vous décerner ce prix.
J’ai toujours été passionnée par le moyen âge, roman, plus précisément (je m’étais amusée à traduire la chanson de Roland en français moderne quand j’étais en 5e…), et j’ai commencé à chanter les troubadours dans les années 90. Puis j’ai formé avec mes deux sœurs et mon frère l’ensemble Tard-Quand-Dîne, en 1995, et pendant quelques années nous chantions de la poésie provençale, notamment de F. Mistral, que nous mettions en musique. C’était une grande aventure, la plus jeune avait à peine 13 ans ! L’ensemble Azalaïs, lui, a été créé en 2006, et son répertoire est plutôt tourné vers les chansons traditionnelles et médiévales. On peut facilement trouver des extraits de ce répertoire sur internet. Aujourd’hui il m’arrive de proposer des formations de danses chantées des XIIe et XIIIe siècles…
Retour à l'enseignement du provençal
Finalement vous enseignez le provençal, avec les difficultés rapportées par la plupart de vos collègues ?
Dans mon secteur, les élèves volontaires sont encore trop peu nombreux, quelles qu’en soient les raisons, mais cela changera ! Et s’il est vrai que les conditions de l’enseignement du provençal sont souvent compliquées (j’ai avalé quelques couleuvres, autrefois !), je dois dire que depuis que j’ai repris, je bénéficie d’un formidable soutien de la part de l’équipe de direction du lycée Mistral d’Avignon, ce qui compte beaucoup. Le Rectorat m’a également fait confiance pour rédiger le premier manuel de provençal mistralien à l’usage des lycéens ; et maintenant je travaille au prolongement numérique des leçons. C’est un travail qui me plaît beaucoup et m’inspire beaucoup d’idées pour la transmission de notre culture. Les difficultés existent mais la volonté de faire aussi. Voyons comment tout cela évoluera...