Vous est-il arrivé de vous faire reprendre, pire, d’être traité de « Parisien », parce qu’un jour vous avez dit « Lubéron »… comme vous le dites depuis votre enfance, comme l’ont dit vos aïeux, comme le disent vos voisins ?
Luberon dans le massif, Lubéron tout autour...et depuis le temps des Romains
La première fois qu’on m’a ainsi apostrophée, j’ai vigoureusement réagi : « Ce sont les gens du Nord qui disent « Luberon » ou le plus souvent « Lub’ron » ; en provençal le « e » se prononce « é », jamais « eu » ; et c’était déjà vrai avant qu’on ne parle provençal, puisqu’au temps de l’empereur Auguste, voici deux mille ans, le géographe grec Strabon parlait déjà du Louérion ! »
Pour transmettre les sources les plus fiables à mon détracteur qui n’en démord pas, je consulte l’article de Wikipédia. Surprise ! Non seulement l’encyclopédie en ligne titre « Massif du Luberon », mais elle met en garde : « Des dictionnaires ou encyclopédies comme Larousse et Le Robert admettent les formes “Luberon” ou “Lubéron”. L'orthographe et la prononciation “Lubéron” sont toutefois à éviter au profit de “Luberon” ».
En consultant la page de discussion de l’article, je vois que cette formulation résulte d’un compromis à l’issue d’un débat acharné entre contributeurs qui a duré pas moins de cinq ans ! (9 avril 2008— 2 septembre 2013). La masse de sources, documents et arguments contradictoires apportés au débat ne parvient pas à masquer son caractère passionnel ; voilà qui interroge, car au fond, quelle importance ?
Cela m’intrigue et je mène une petite enquête pour élucider le mystère. Elle n’a pas valeur statistique, mais tout de même : dans le massif et à sa périphérie, « Luberon » paraît exclusif, prononcé « Lubeuron » par les natifs et « Lub’ron » par les autres. Dès qu’on s’en éloigne, la prononciation « Lubéron » reprend ses droits : c’est dire qu’elle est beaucoup plus répandue en Provence que l’autre.
Mais pourquoi le sud du Vaucluse revendique-t-il sa prononciation minoritaire avec tant de pugnacité, et pourquoi celle-ci se répand-elle de plus en plus ?
Il faut sans doute remonter aux débuts de l’école obligatoire (1881-1882) dont une des grandes missions fut l’éradication des « patois ».
Comme des cartes géographiques, des ouvrages, des actes officiels écrivaient « Leberon » à la provençale, donc sans accents, les maîtres enjoignirent aux enfants de prononcer à la française le nom de leurs pays.
Les réfractaires se voyaient attribuer le signau : sabot, fer à cheval..., qu’ils refilaient dès que possible aux nouveaux punis.
La méthode, redoutablement efficace, a porté ses fruits. On la retrouve aujourd’hui, symboliquement, chez les nouveaux venus qui, s’étant fait reprocher leur prononciation « erronée », n’ont de cesse d’épingler à leur tour un supposé « Parisien » ! La notoriété du massif fait le reste, et l’administration adoptant à son tour le nouvel usage, le jeune « Luberon » est en passe de supplanter le vieux « Lubéron »…
Ou sinon, tant pis pour la vérité historique et pour la pratique populaire attestée, vous allez au coin avec le bonnet d’âne.
Pour transmettre les sources les plus fiables à mon détracteur qui n’en démord pas, je consulte l’article de Wikipédia. Surprise ! Non seulement l’encyclopédie en ligne titre « Massif du Luberon », mais elle met en garde : « Des dictionnaires ou encyclopédies comme Larousse et Le Robert admettent les formes “Luberon” ou “Lubéron”. L'orthographe et la prononciation “Lubéron” sont toutefois à éviter au profit de “Luberon” ».
En consultant la page de discussion de l’article, je vois que cette formulation résulte d’un compromis à l’issue d’un débat acharné entre contributeurs qui a duré pas moins de cinq ans ! (9 avril 2008— 2 septembre 2013). La masse de sources, documents et arguments contradictoires apportés au débat ne parvient pas à masquer son caractère passionnel ; voilà qui interroge, car au fond, quelle importance ?
Cela m’intrigue et je mène une petite enquête pour élucider le mystère. Elle n’a pas valeur statistique, mais tout de même : dans le massif et à sa périphérie, « Luberon » paraît exclusif, prononcé « Lubeuron » par les natifs et « Lub’ron » par les autres. Dès qu’on s’en éloigne, la prononciation « Lubéron » reprend ses droits : c’est dire qu’elle est beaucoup plus répandue en Provence que l’autre.
Mais pourquoi le sud du Vaucluse revendique-t-il sa prononciation minoritaire avec tant de pugnacité, et pourquoi celle-ci se répand-elle de plus en plus ?
Il faut sans doute remonter aux débuts de l’école obligatoire (1881-1882) dont une des grandes missions fut l’éradication des « patois ».
Comme des cartes géographiques, des ouvrages, des actes officiels écrivaient « Leberon » à la provençale, donc sans accents, les maîtres enjoignirent aux enfants de prononcer à la française le nom de leurs pays.
Les réfractaires se voyaient attribuer le signau : sabot, fer à cheval..., qu’ils refilaient dès que possible aux nouveaux punis.
La méthode, redoutablement efficace, a porté ses fruits. On la retrouve aujourd’hui, symboliquement, chez les nouveaux venus qui, s’étant fait reprocher leur prononciation « erronée », n’ont de cesse d’épingler à leur tour un supposé « Parisien » ! La notoriété du massif fait le reste, et l’administration adoptant à son tour le nouvel usage, le jeune « Luberon » est en passe de supplanter le vieux « Lubéron »…
Ou sinon, tant pis pour la vérité historique et pour la pratique populaire attestée, vous allez au coin avec le bonnet d’âne.
Carte scolaire Hatier des montagnes du Midi, 1954, et signalétique locale contemporaine
Signalons à nos lecteurs curieux, qu'Anne Congès proposera une version plus fouillée et argumentée, avec sources, de ce billet pour nos abonnés, qui liront son article dans le numéro de janvier de notre mensuel.