
Il fut en effet un temps où de jeunes gens pouvaient prendre un sac à dos, chausser des patogas, éventuellement s’armer d’un exemplaire de poche de Sur la Route, et aller voir au lointain ce que vivaient et pensaient les autres, qui vous accueillaient dans leur digne pauvreté.
C’était avant que la famille Bush, père et fils, n’affuble l’autre du peu glorieux titre de « forces du mal », avant que les porte-conteneurs chinois n’amènent jusque dans le coin le plus reculé de la planète textiles ou taraïettes que jusqu’alors on produisait localement. Depuis Portulan, l’idéologie libérale et la mondialisation des échanges ont tué l’altérité et imposé la violence.
Avant que ne soient les "forces du mal" était l'altérité
Attentif à l’autre, ses regards, ses attitudes, ses paroles, il nous faisait connaître en occitan l’Afghanistan d’avant les Talibans, d’avant même les chars soviétiques. Puis il poussait jusqu’au Cachemire et montait dans l’Himalaya.
Après trente et quelques années, on s’aperçoit qu’il nous parlait d’une époque, « aquela de la vida vidanta d’un mond a la velha de la mondializacion », résume son préfacier, Joan-Francesc Teisseire, en 2013.
Qu’il ait fallu attendre 30 ans cette réédition s’explique sans doute par la révolution du monde. Il a radicalement tourné sur lui-même, faisant de l’Asiate un voisin, et de l’artisan un mendiant, un ouvrier encaserné, ou un porteur de kakachnikov.
« Dins aqueleis endevenenças, pareissiá irrespechiós, escarabissós, e quitament mau-senat, de rementar un passat enfugit » nous dit encore le préfacier.

Pourtant ce texte était nécessaire. Il nous montre l’autre avec qui le dialogue est possible, comment on peut essayer de se mettre un instant à sa place, pourquoi il est nécessaire d’aller au contact afin d’éviter le ratatitement de la pensée occidentale.
Ces impressions de voyage avec leur luxe de descriptions d’avant internet et la pléthore de chaînes câblées consacrées aux documentaires, gardent leur merveilleux intérêt ; elles vous permettent d’accompagner leur auteur, de mettre vos pas dans ses pas, et votre cerveau au diapason du sien.
Le sentiment né du reportage vous tiendra alors en mesure de sentir les odeurs des marchés, la chaleur du soleil au levant, d’entendre les bruits des souks et le halètement des ânes. A travers tout cela vous pourrez saisir un peu de l’humanité d’un monde qui sera bientôt désintégré.
Vous aurez un instant aboli le temps qui a passé, souvent contre l’avenir rêvé des gens rencontrés par l’auteur.
Texte revu
Le livre ne débute plus vraiment par « Lo desèrt es un element. Coma l’aige. Coma la mar… » bien des accents ont disparu, d’autres sont apparus. Des termes ont été changés, comme le « reconstruccion » de la première page qui a laissé la place à « rebastisson ».
On aurait aimé que l’auteur explique ces nouveaux choix. On aurait aussi aimé que, tout comme dans la première édition, un lexique soit proposé en fin d’ouvrage, afin d’élargir le nombre des lecteurs potentiels de ce qui est, désormais, un des grands classiques de la littérature occitane.