Il faut imaginer Paul Martin au milieu des vignes, à Salinelles, dans le Gard rural ; une grand-rue bordée de vénérables pierres blanches. Le confinement aurait pu être pire. Les soucis cependant ne manquent pas : “chaque jour s’éloigne un peu plus la possibilité de tenir effectivement les Rencontres de la poésie d’oc au quinze juin, comme prévu!”.
Avec la poétesse Estello Ceccarini, les conversations téléphoniques sont fréquentes, les décisions se prennent à deux. Lui, l’éditeur de L’Aucèu Libre, elle, universitaire italianisante et poétesse d’Oc, ont réussi l’an passé ce pari risqué : réunir un public, si possible fourni, dans un village du Gard, pour écouter de la poésie en occitan, et entendre en parler ceux qui l’étudient ou la promeuvent.
300 personnes et le gratin des lettres occitanes s’y sont rendues, et deux jours plus tard, le duo savait qu’il replongerait. D’autant plus que la Région Occitanie a voté une aide. Cela c'était début mars...avant le confinement.
“Le problème n’est pas de l’organiser si nous sortons du confinement courant mai, mais nous pensons que beaucoup hésiteront à s’y rendre, et la moyenne d’âge des amateurs correspond à la population à risque du covid 19. Sans l’avoir encore décidé – Il faut voir ce que les autorités, elles, décideront – nous commençons à étudier une autre option, organiser les Rescòntres à mi-septembre.”
Des projets d'après covid 19
Ce type d’événement, là où il est envisagé, est bien peu susceptible de concurrence. La Féria de Nîmes n’en sera surement pas une, de concurrente, et les deux journées des Rescòntres, organisées loin des peurs virales, ce serait tout de même mieux pour tout le monde.
En attendant d’arrêter une décision, l’éditeur bien entendu garde le nez sur les manuscrits reçus, et le confinement révèle des enthousiasmes. Rose Mioch, ex journaliste de l’Hérault du Jour, le pendant languedocien du journal de gauche provençal La Marseillaise, retraitée depuis quelques années, rédige une évocation poétique de ses engagements humanistes, résume Paul Martin. Elle a deux recueils sur le lutrin, et réunis sous le simple mot “Tèrra”, ils promettent beaucoup d’émotions.
Idem pour “Setòrias”, les sétoises, que Frédéric Figeac – l’auteur de A quicòm pròche (2018) soumet à l’Aucèu Libre. “Il s’agit d’une poésie sans rimes, et je préfère ne pas trop en dire...vous verrez le moment venu", dit l’éditeur avec une certaine gourmandise, avant de changer du tout au tout pour annoncer un ouvrage au moins aussi dur que le Negrelum de Miquèla Stenta (Aquò d’Aquí n° 322). L’auteure narrait les derniers temps de la mère, qu’il faut accompagner vers la sortie définitive, avec la kyrielle des sentiments difficiles qui animent l’accompagnante ; mais voici qu’un anonyme aborde, lui, le sujet de l’inceste, et pour cela utilise un pseudonyme. La poésie n’est pas qu’une affaire de sérénité, loin s’en faut.
Et ce n'est qu'un échantillon. “Je reçois vraiment beaucoup de manuscrits, peut-être trop, mais comment faire ? La qualité est au rendez-vous!” Il faut donc être à la hauteur, c'est la seule option.
Le déconfinement, pour peu que le public d’oc, lui, soit au rendez-vous, pourrait être celui d’un printemps de la poésie occitane...en automne. Préparez votre bibliothèque.