Les urnes viennent d’arriver, applaudies par quatre cents citoyens, sous le regard de deux Mossos, les policiers de la Generalitat de Catalunya, qui eux ne sont là que pour assurer le maintien de l’ordre.
Un ordre très bien assuré déjà, par les citoyens eux-mêmes. Cinq cent mètres plus haut, à Montjuic, deux mille personnes attendent sous la pluie fine, dans la cour de l’Ecole des XXVèmes Olimpiades, un collège-lycée où l’on a mis, sous le préau, à l’abri, les anciens et les personnes handicapées.
« Non, il n’y a pour ainsi dire personne pour organiser ça, c’est auto-géré ». Narcis, un retraité à la moustache conquérante hausse les épaules : on se débrouille très bien entre nous ! On se connait. On a nos valeurs.
"Nous devons nous séparer"
L’Etat est considéré ici, souvent, comme toujours franquiste, donc fasciste. Les Catalans s’estiment, eux, garants de la pratique démocratique. Comment donc ! ? On les empêcherait de s’exprimer sur leur futur ?
« Je serais heureuse de collaborer avec l’Espagne, demain, mais comme Catalane, en Catalogne » affirme Angèls, une téléopératrice quadragénaire qui vote ici, à Monjuic. « Depuis huit ans, je suis persuadée que nous devons nous séparer. Notre histoire n’est pas la même ». Incompatibilité d'humeur.
Surtout de rien résoudre sur le fond

L’essentiel des décisions de la Generalitat de Catalunya, de son parlement élu en 2015 pour préparer ce référendum, est retoqué, depuis 2010, par le Tribunal Constitutionnel Espagnol, la plupart du temps saisi par le Partido Popular, au pouvoir en Espagne.
En novembre 2014, les Catalans ont déjà, au cours d’une consultation déjà aussi populaire qu’illégale, choisi de s’exprimer pour ou contre l’indépendance. Ce premier octobre c’est ce qu’ils font.
A Girona, au nord de Barcelona, le président de la Generalitat, Carles Puigdemont, qui montre la responsabilité d’un authentique chef d’Etat, a été empêché de voter. Il en est l’ancien maire, mais il s’est heurté au barrage de la Guardia Civil. Les hommes casqués, « les gris » disent les Barcelonnais rencontrés, sont prêts à jouer de la matraque, s’opposent au représentant élu de la volonté démocratique catalane.
Le symbole est fort, il montre aussi la faiblesse de l’Etat. « Ils ont choisi de s’attaquer aux bureaux que peu de gens défendaient, ou qui étaient plus payants en termes médiatiques ; ils ne sont pas assez costauds pour faire plus » estime Manel. Les traits tirés, l’assesseur principal du bureau de vote de l’Escola Joan Miró, avenue Diputació, souligne ainsi la logique de l’Etat espagnol, rouler des mécaniques, donner des gages de dureté à la société espagnole, mais ne rien résoudre sur le fond.
Le référendum "n'a pas existé", la réalité non plus
Le référendum qui, malgré les 900 blessés par la police et le vol des urnes (une estimation circule, 700 000 bulletins auraient été confisqués par la police) a réuni 2,23 millions d’électeurs, « n’a pas existé ! » selon le premier ministre, Mariano Rajoy.
Et le Roi Felipe VI, en qui beaucoup voulaient voir une figure paternelle commune, a réagi en chargeant le gouvernement régional, en niant la réalité du référendum, et en s’interdisant la moindre parole d’excuse pour les anciens, trainés par les cheveux dans les escaliers, par sa police.
Carrer dels Angèls, Violeta, pas même trente ans, est claire et nette : « maintenant je ne crois pas qu’on puisse se passer d’un divorce avec l’Espagne. Ce qu’elle a fait est honteux ! ». Son compagnon Javier explique : « changer la constitution pour permettre notre expression semble hors de portée. Il faudrait se débarrasser du Parti Populaire. Obtenir l’indépendance semble plus facile ».
Matraque, suspension du statut d'autonomie : la menace comme réponse politique

« Ils ont annoncé qu’ils s’interposeraient physiquement entre les électeurs et la Guardia Civil » annonce Carles, qui fait le piquet devant l’Ecole Joan Miró. Ce qui n’empêchera nullement les « grisos », armés de matraques, d’essayer de briser les jambes des secouristes, la seule partie de leur corps que protège peu leur équipement.
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Plus de deux millions de Catalans, en ce premier octobre, sont traités comme des criminels par la police et ses inspirateurs gouvernementaux. La démocratie, terme dont se gargarisent tous les responsables espagnols, consiste, ici, à considérer comme délictuel l’exercice de cette démocratie.
Puisque la Genaralitat de Catalunya organise le référendum d’autodétermination pour laquelle elle a été élue, l’Etat agite la menace de la suspension du statut d’autonomie. Le fameux article 155 est brandi comme les policiers, eux, brandissent leur matraque. Peu leur importent les centaines de milliers de manifestants, mains ouvertes, levées en signe de pacifisme.
Des responsables de premier plan suggèrent le recours à l'Armée
A la Commission Européenne, l’Espagne n’a trouvé que têtes opinantes. Du coup l’Etat pense en termes d’intervention armée. C’est la demande claire et nette d’Alfonso Guerra, ex-vice premier ministre espagnol, sur les ondes d’une radio nationale.
Ainsi pour les Européens, les leçons du Kosovo ou de l’Ukraine n’ont pas été tirées, ses responsables préfèrent regarder ailleurs, attendant le premier sang pour s’émouvoir.
A Barcelona, nous l’avons vu. Des milliers de « voisins » serrent les coudes, dans un même quartier, devant leurs bureaux de vote. A Madrid un homme seul, engoncé dans l’habit de l’Etat tout puissant, promet au peuple la trique, rebaptisée « démocratie ».
A Bruxelles les représentants d’Etats européens ouvrent leur boite de boules Quies. A Paris on laisse tout l’espace de la parole publique aux seuls spécialistes du droit institutionnel.
A Barcelona et ailleurs en Catalogne, un million de citoyens descendent dans la rue en restant invisibles au reste du monde.
Pour le moment.