Ce 18 mai 2022 pour la première fois le conseil municipal d’Elne, 8600 habitants au sud de Perpignan, entendait ses conseillers municipaux débattre en catalan dans un cadre réglementaire… mais pas légal a estimé le préfet des Pyrénées Orientales, qui a assigné la Commune au Tribunal Administratif de Montpellier. Celui-ci entend les parties mardi prochain. Une jurisprudence à venir pour les langues de France ? Parlons en avec Pere Manzanares, maire adjoint délégué à la langue régionale et président du Sioccat (syndicat intercommunal pour la promotion des langues catalane et occitane – 130 communes).
Délibérations en catalan, traduites en français
Aquò d’Aquí – Le nouveau règlement du conseil municipal autorise les débats en catalan, qui sont dans la foulée traduits en français. Le préfet en conteste la légalité. Comment résumez vous le problème ?
PM - Notre avocat représentera les communes d’Elne, Port Vendres et Tarérach, Amélie les Bains en ayant choisi le sien par ailleurs, afin de répondre au recours du préfet des Pyrénées Orientales. Cependant les quatre sont citées ensemble au Tribunal Administratif. Il est bon de savoir que l’avocat a d’abord présenté une Question Préalable de Constitutionnalité à propos de l’Edit de Villers-Cotterêts ( 1539), mais le TA refuse de la transmettre au Conseil Constitutionnel. Le mémoire de notre avocat mise sur l’interprétation de la Constitution du peuple français : l’article 2 certes pose que le français est la langue de la République, mais l’article 75.1 souligne que les langues telles le catalan font partie du patrimoine de la France. Nous devrions donc pouvoir faire vivre ce patrimoine.
Rappelons l’objet du débat : notre commune délibère que les débats du conseil municipal peuvent se dérouler en catalan, et que la traduction intégrale en français sera publiée avec les comptes rendus. Le préfet cependant prétend qu’en assemblée délibérante l’emploi du français doit être exclusif. Au secrétaire général de la préfecture j’ai pu dire que nous ne retranchions rien au français, que nous ne faisions qu’ajouter le catalan, et que le respect des débats en français serait total. Mais voilà, il estime que le fait de s’exprimer en catalan pourrait permettre de dissimuler ; et nous estimons nous que cette suspicion est absurde.
Faire jurisprudence ?
Il est bien rare que l’article 75.1 soit considéré comme autre chose que cosmétique par les autorités judiciaires et politiques françaises. Pensez-vous faire évoluer cette situation ?
Ce qui est intéressant dans cette affaire, d’un point de vue juridique c’est que les décisions récentes d’autres tribunaux administratifs pourraient être pris en compte. Une commune corse, une autre basque, ont été confrontées à la même situation, et dernièrement le TA de Bastia a eu a juger des pratiques de la Collectivité Territoriale de Corse, en acceptant que les délibérations soient faites en langue corse à la condition que ce soit intégralement traduit en français.
En ce qui nous concerne, notre pratique consiste à commencer en catalan puis à traduire en français ; le but est d’envoyer un signe fort à la population elle-même, afin qu’elle s’approprie sa propre langue. Au plan juridique cette pratique diffère des cas que j’ai évoqué puisque nous proposons une traduction immédiate, au moment même du conseil municipal. Selon ce que décidera le Tribunal Administratif de Montpellier, cela pourrait faire jurisprudence.
Jusqu'à la Cour Européenne de Justice
Une étape suivante ?
Si, comme nous le craignons, le TA donne suite au recours du préfet, nous devrons retirer du règlement intérieur la possibilité offerte de s’exprimer en catalan lors des séances du conseil municipal, mais moi comme le maire et d’autres conseillers nous continuerons à nous y exprimer ainsi. Certes nous ne pourrons pas envoyer les actes en catalan à la préfecture, néanmoins ils auront été discutés oralement en catalan au sein de notre conseil municipal.
Notez cependant que, bien que déboutés, nous ferions appel de la décision et que, finalement nous déposerions nos recours jusqu’à la Cour Européenne de Justice pour dénoncer la discrimination linguistique faite à des citoyens dans l’exercice d’un mandat public.
La Justice Européenne est plus réceptive que la française, et l’État pourrait être condamné devant une juridiction européenne, ce qui ferait avancer la cause. Ne nous cachons pas que nous poursuivons un but politique qui consiste à obtenir que l’État français signe enfin la Charte Européenne des Langues Régionales, et qu’enfin il y ait en France une réelle politique de reconnaissance de ces langues. Nous pensons que nous travaillons là pour l’ensemble des langues historiques du territoire français.