Michel Bianco : "Le chant polyvocal était présent dans la tradition. Il ne demandait qu'à se répandre. On l'a aidé" (photo MN)
Michel Bianco, le chant polyphonique, en occitan, serait une création récente, et Miqueu Montanaro, voici peu, en présentant le programme des Joutes Musicales de Correns où s’est produit le Corrou de Berra, a pu dire que vous étiez à l’origine de sa popularisation chez nous. Qu’en est-il ?
Le chant polyphonique, que je préfère appeler chant polyvocal, en fait a toujours existé chez nous. Il s’est mieux conservé qu’ailleurs dans les montagnes, disons du « grand sud ». Nous n’avons fait que réinventer la tradition.
Mon père disait : « celui qui chante le mieux c’est celui qui fait la voix qui manque ». Il voulait dire que, toujours, un des chanteurs ressent ce qui manque à une bonne harmonie vocale, et comble ce manque. Lui, qui venait du Piémont, faisait partie de cette génération qui chantait facilement, dès qu’une occasion se présentait. La télé n’avait pas encore tout nivelé.
Bien entendu, c’est aux Jeux Olympiques d’Hiver d’Albertville, en 1992, que les Corses d’I Muvrini ont fait connaitre cette nouvelle polyphonie. Mais j’avais toujours entendu, moi, chanter à plusieurs voix, dans les fêtes où chantait mon père. Je suis originaire d’Antibes, et dans les bars que fréquentaient les horticulteurs, j’entendais chanter ainsi.
Le chant polyphonique, que je préfère appeler chant polyvocal, en fait a toujours existé chez nous. Il s’est mieux conservé qu’ailleurs dans les montagnes, disons du « grand sud ». Nous n’avons fait que réinventer la tradition.
Mon père disait : « celui qui chante le mieux c’est celui qui fait la voix qui manque ». Il voulait dire que, toujours, un des chanteurs ressent ce qui manque à une bonne harmonie vocale, et comble ce manque. Lui, qui venait du Piémont, faisait partie de cette génération qui chantait facilement, dès qu’une occasion se présentait. La télé n’avait pas encore tout nivelé.
Bien entendu, c’est aux Jeux Olympiques d’Hiver d’Albertville, en 1992, que les Corses d’I Muvrini ont fait connaitre cette nouvelle polyphonie. Mais j’avais toujours entendu, moi, chanter à plusieurs voix, dans les fêtes où chantait mon père. Je suis originaire d’Antibes, et dans les bars que fréquentaient les horticulteurs, j’entendais chanter ainsi.
"Notre tradition a atteint l'universel"
Le Corrou de Berra à Correns en mai 2016. Trente ans après, et de nombreux projets créatifs derrière lui, se pose la question de son avenir (photo MN)
Cette pratique en tout cas a fait florès.
Trente ans après, moi je recense, mis à part les très connus, comme Lo Còr de la Plana ou La Mal Coiffée, et quelques autres qui ont une notoriété, une bonne centaine de groupes composés de gens qui chantent bien en polyvocalité, avec une démarche artistique. Chanter la tradition, certes, ça fait plaisir, mais amener quelque chose de nouveau, un souffle nouveau, permet de faire exploser cette vocalité. Et de la faire vivre et évoluer au plan européen. Oui, c’est cela, c’est un souffle nouveau ! Ainsi la polyvocalité ne fait pas partie de la tradition anglaise, et là-bas elle se répand tout de même. Notre tradition a atteint l’universel. Et depuis quelques années, ce sont ainsi de vrais ovnis artistiques qui décollent.
Après trente ans de pratique vocale, le Corrou de Berra a-t-il encore des projets à mener ?
Avec le Corrou de Bèrra, on a essayé beaucoup de choses : chanter avec un orchestre symphonique, des jazzmen de pointure mondiale. Nous montons un spectacle de marionnettes avec Serge Dotti à Nice. Mais mon projet véritable c’est que, à 61 ans, je puisse m’assurer que le Corrou de Berra continue après moi. Former des gens, les encourager à prendre ma place. Je le vis bien. Je suis professionnel depuis 1977. On en a fait, quand même, des trucs !
Trente ans après, moi je recense, mis à part les très connus, comme Lo Còr de la Plana ou La Mal Coiffée, et quelques autres qui ont une notoriété, une bonne centaine de groupes composés de gens qui chantent bien en polyvocalité, avec une démarche artistique. Chanter la tradition, certes, ça fait plaisir, mais amener quelque chose de nouveau, un souffle nouveau, permet de faire exploser cette vocalité. Et de la faire vivre et évoluer au plan européen. Oui, c’est cela, c’est un souffle nouveau ! Ainsi la polyvocalité ne fait pas partie de la tradition anglaise, et là-bas elle se répand tout de même. Notre tradition a atteint l’universel. Et depuis quelques années, ce sont ainsi de vrais ovnis artistiques qui décollent.
Après trente ans de pratique vocale, le Corrou de Berra a-t-il encore des projets à mener ?
Avec le Corrou de Bèrra, on a essayé beaucoup de choses : chanter avec un orchestre symphonique, des jazzmen de pointure mondiale. Nous montons un spectacle de marionnettes avec Serge Dotti à Nice. Mais mon projet véritable c’est que, à 61 ans, je puisse m’assurer que le Corrou de Berra continue après moi. Former des gens, les encourager à prendre ma place. Je le vis bien. Je suis professionnel depuis 1977. On en a fait, quand même, des trucs !
"En nous excluant des aides régionales et locales, les pouvoirs publics nous ont poussé à la notoriété internationale"
A l'église de Correns le 15 mai dernier (photo MN)
Vous êtes connu pour vos projets artistiques par le public, mais moins des organismes subventionneurs. Vous ne leur coutez pas cher. A quoi ce traitement est-il dû ?
Sur ce plan je suis très amer. En même temps, je positive. Notre chance, au fond, fut d’être rejetés par tout ce qui est pouvoirs publics. La Région, les élus niçois…Tiens ! L’un d’eux que je ne nommerai pas, aujourd’hui au FN, nous a bien aidés en nous excluant de tout concert public. Il ne voulait pas nous entendre chanter Bella Ciao. On peut dire qu’il nous a coulés chez nous. Aussi nous avons, pour exister, été chanter en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre…Et nous avons ainsi acquis une dimension européenne. Nos dossiers ont longtemps été retoqués systématiquement à la Région Paca. Eh ! bien on a appris à se débrouiller sans. Quand nous n’avions pas l’argent de nos projets, nous en parlions à qui devaient les mener avec nous. Le batteur André Ceccarelli, mondialement connu, acceptait alors d’enregistrer avec nous en nous disant : « vous me paierez quand vous aurez de l’argent ».
L’adversité nous a maintenus dans une dynamique artistique. Beaucoup d’artistes ont travaillé avec nous, alors que nos demandes d’aides publiques nous valaient des courriers commençant par : « malgré tout l’intérêt de votre projet ; etc. » Et ce projet, une fois concrétisé, était « Choc du mois du Monde de la musique », « Quatre étoiles Télérama »…Moins les pouvoirs publics voulaient nous financer, mieux nous étions reconnus pour la valeur du projet qu’ils avaient refusé d’aider.
Sur ce plan je suis très amer. En même temps, je positive. Notre chance, au fond, fut d’être rejetés par tout ce qui est pouvoirs publics. La Région, les élus niçois…Tiens ! L’un d’eux que je ne nommerai pas, aujourd’hui au FN, nous a bien aidés en nous excluant de tout concert public. Il ne voulait pas nous entendre chanter Bella Ciao. On peut dire qu’il nous a coulés chez nous. Aussi nous avons, pour exister, été chanter en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Angleterre…Et nous avons ainsi acquis une dimension européenne. Nos dossiers ont longtemps été retoqués systématiquement à la Région Paca. Eh ! bien on a appris à se débrouiller sans. Quand nous n’avions pas l’argent de nos projets, nous en parlions à qui devaient les mener avec nous. Le batteur André Ceccarelli, mondialement connu, acceptait alors d’enregistrer avec nous en nous disant : « vous me paierez quand vous aurez de l’argent ».
L’adversité nous a maintenus dans une dynamique artistique. Beaucoup d’artistes ont travaillé avec nous, alors que nos demandes d’aides publiques nous valaient des courriers commençant par : « malgré tout l’intérêt de votre projet ; etc. » Et ce projet, une fois concrétisé, était « Choc du mois du Monde de la musique », « Quatre étoiles Télérama »…Moins les pouvoirs publics voulaient nous financer, mieux nous étions reconnus pour la valeur du projet qu’ils avaient refusé d’aider.
Une version plus longue de cet entretien - réalisé en mai 2016 - sera proposée aux abonnés du mensuel Aquò d'Aquí, à paraître en septembre. Michel Bianco y évoquera l'évolution du chant polyphonique à travers sa propre pratique dans différents groupes, et y parlera du rapport musique trad/musique de création.