Mai monte siam ?!


Vivement le temps où l’on pourra rire de notre frilosité-animosité face au défi que constitue l’afflux de réfugiés de Syrie et d’Irak. C’est que nous aurons alors intégré une population d’où seront issus nous futurs amis.



Au vu des tensions irraisonnées qui, en Europe, agitent nombre de responsables, croyant complaire à leurs électeurs, il faut peut-être déminer ce terrain et savoir mettre un peu d’humour et de dérision sur l’épineuse question de l’accueil des réfugiés. 

Nous avons connu un précédent; la population arménienne, rescapée du génocide, a été mal accueillie. Aujourd'hui on n'imagine tout simplement pas la Provence sans ses descendants.

Tentons l’expérience en demandant votre indulgente complicité.
 
Cela se passe à l’école de Marseille La Viste à la rentrée de septembre 1920. Le petit Toto, dont le père est un xénophobe, tendance raciste, très affirmé, trouve que ses copains sont un peu noyés parmi les très nombreux nouveaux.
 
La maîtresse fait l’appel. « Hampartzounian ? » - « présent ! » ; « Minassian ? » - « présent ! »…la moutarde monte doucement au nez de Toto. « Boghossian ? » - « présent ! ». Toto sent le rouge qui lui monte au front…  « Donabedian ? » - « présent m’dam ! ». Là ! il n’y tient plus, se lève et s’écrie : « mai monte siam ?!!! ». Et, au fond de la salle, on entend une petite voix qui dit : « présent ! »
 
Essayons de nous souvenir, à l’aide des travaux d’historiens, ou en questionnant nos amis Arméniens ce qu’il en fut.
 
Vomis par la Turquie de l’époque, des centaines de milliers de réfugiés, épuisés, traumatisés, à peine vivants, débarquent en Europe ; et bon nombre chez nous. On les parque à l’endroit où, aujourd’hui, se dresse le Centre Bourse de Marseille.  Et la société d’alors les accueille de façon contrastée. Ici les églises les aident, là une partie de la population les conspue. A-t-on idée de ce que fut le racisme anti-arménien ? Qui pourrait aujourd’hui affirmer que notre Provence serait telle quelle est sans leur présence ?
 
J’ai, voici vingt ans, rencontré, parmi ses enfants, une survivante. Centenaire alors, elle me fit un café pendant que je questionnais sa fille, déjà retraitée. « C’est un café turc ! » me dit-elle, dans une forme d’humour de dérision qui lui avait permis de survivre au bébé perdu dans le désert de Syrie, « charitablement » achevé à la baïonnette, devant sa mère, par un soldat qui ne pouvait supporter son agonie…
 
Ce même désert de Syrie rejette encore des flots de malheureux, apeurés à juste titre, que les Européens ne savent ou ne veulent accueillir.
 
Parmi les réfugiés d’il y a un siècle, on comptait un certain Missak Manouchian. Il échoua d’abord aux Chantiers Navals de La Seyne, où le travail et la poésie l’aidèrent à se reconstruire. Bien plus tard il mourut devant un peloton d’exécution nazi, pour que nous puissions être élevés dans un pays libre.
 
Nous devrions savoir accueillir le petit Manouchian de demain qui, peut-être, voyage aujourd’hui, anonyme, en tenant par la main un père Syrien ou Irakien, devant une haie de barbelés à deux pas de la Hongrie.
 
A celui-là ne nous écrions pas, offusqués : « mai monte siam !? » Même pour rire. 

Mardi 22 Septembre 2015
Michel Neumuller