La foule qui accompagnait Artur Mas ce lundi matin six février au Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne, a contribué à faire de ce procès pour « prévarication et désobéissance civile », une nouvelle occasion de mobiliser les Catalans pour l’indépendance.
Pour l'Espagne la Catalogne n'est-elle qu'une vache à lait qu'on bastonne dès qu'elle veut quitter le pré ?
Artur Mas, président jusqu’à l’an dernier de la Generalitat de Catalunya, le quasi-Etat des Catalans, était accompagné de Joana Ortega et Irene Rigau, deux ex conseillers, l’équivalent de ministres à la Generalitat.
L’Etat espagnol leur reproche d’avoir organisé un référendum considéré comme illégal par la Constitution. Le 9 novembre 2014, en effet, une « consultation » avait entraîné quelques 2,3 millions de Catalans à voter dans les écoles, transformées en bureaux de vote. Et une large majorité avait approuvé la proposition d’un référendum pour l’indépendance.
Le successeur d’Artur Mas, Carles Puigdemont, a d’ailleurs promis d’organiser ce référendum dans l’année. C’est ce contexte qui rend la situation électrique. La nervosité est palpable au sommet de l’Etat espagnol. Le premier ministre, Mariano Rajoy, ne venait-il pas d’affirmer qu’en cas de référendum, il requerrait la force pour l’empêcher dans les faits.
Une menace très théorique puisque, pour ce faire, il devrait mobiliser les Mossos d’Esquadres, une police autonome catalane, dont la fidélité à l’Etat reste à éprouver.
Mais ce qui frappe, de prime abord, dans cette affaire, c’est l’impossibilité pour les deux camps de discuter le moindre compromis. Et c’est ainsi depuis 2010.
De cette escalade des initiatives, que résultera-t-il ? Certes le bras de fer reste poli, pas un geste mal placé ne vient encore envenimer une situation dans laquelle il devient, pourtant, de plus en plus évident que personne ne lâchera rien.
L’Espagne doit plus de 20% de son produit intérieur brut aux richesses produites par la Catalogne, véritable cœur économique du pays. Mais elle en lui retourne à peine plus de la moitié en dotations.
Il n’est pas rare d’entendre les Catalans se plaindre du fait que la différence contribue à financer la corruption, largement répandue dans les milieux politiques à travers toute l’Espagne. Nous l’avons constaté lors de notre enquête de 2014 en Catalogne, au moment de la Consulta.
Côté Espagne, vous n’entendrez pas de cri du cœur, tel que celui qu’une communication bien menée, en Grande Bretagne, avait pu lancer lors du référendum écossais de 2014. « Ne nous quittez pas, on vous aime ! » n’est pas exactement la phrase que les Espagnols, irrités par l’attitude catalane, font entendre.
C’est au début de l’été 2010 que la situation a basculé. Jusque-là, certes ce n’est pas un grand amour qui liait les Catalans à l’Espagne, mais on n’aurait pas, pour autant, trouvé une majorité de Catalans pour envisager sérieusement l’indépendance.
Début juillet 2010, pourtant, le Tribunal Constitutionnel Espagnol allait jeter de l’huile sur le feu, et celui-ci ne s’est pas éteint depuis. Les contribuables catalans étaient en effet, alors, sommés de financer l’école privée, en espagnol, des écoliers dont les parents ne souhaitaient pas qu’ils soient éduqués en catalan. En Catalogne, le catalan est en effet la langue d’enseignement public.
Devoir payer pour ceux qui ne veulent pas de l’idiome commun ? La chose est apparue comme une punition humiliante inacceptable. Même si, dans les faits, très peu de gens ont demandé l'application de cette mesure. Une manifestation monstre, le 10 juillet 2010, à Barcelona, a probablement marqué le moment où les Catalans ont versé dans l’indépendantisme. Ainsi, non seulement ils étaient la vache à lait de l’Espagne, mais encore celle-ci leur donnait-elle du bâton.
C’est ce rapport fou qui n’a cessé de s’affirmer. L’Etat espagnol s’est crispé sur une Constitution vécue comme une prison par les Catalans. Les Catalans eux se sont enhardis et ont adopté la position de tous les minoritaires qui ne veulent pas être écrasés, l’intransigeance.
Six ans après, on ne voit plus comment les acteurs de cette tragédie pourraient vouloir changer de logique. Les rodomontades quasi militaires de M. Rajoy en sont l’ultime péripétie. M Mas lui répond, lui, en se drapant dans la condition de justiciable. Il portera avec honneur une condamnation que, sans doute, il souhaite.
Endossant, seul, devant le tribunal, l’entière et exclusive responsabilité de ce 9-N, il devient pour les Catalans, le symbole de cette indépendance désormais voulue.
Cependant, derrière le souhait de plus en plus marqué des Catalans d’obtenir leur indépendance, nous voyons poindre l’intolérance que naguère ils dénonçaient. 250 personnalités du monde des lettres et de l’enseignement n’ont-ils pas réclamé, voici quelques mois, que le catalan soit l’unique langue officielle de la Catalogne ?
Comment se vivrait la séparation ? Quid des familles mixtes, qui sont légion ? Du jour au lendemain des Espagnols se trouveraient-ils étrangers chez eux ? Ces situations ne sont pas sans précédents. Elles ont été vécues voici un quart de siècle par les Tchèques et les Slovaques, et si à l’époque on en a peu parlé, elles n’en ont pas moins affecté des dizaines de milliers de personnes.
L’élévation de nouvelles frontières au XXIè siècle en Europe est-elle souhaitable ?
Enfin, et bien que la situation linguistique soit loin d’être le seul point d’achoppement dans une Catalogne qui ne se veut plus Espagnole, quid des situations où, ailleurs en Europe, l’émergence d’une revendication linguistique apparaît ou prend de l’ampleur ?
Doit-on se résoudre à penser qu’il serait là impossible de vivre ensemble, adoptant et respectant des lois communes ?
C’est bel et bien l’un des enjeux sous-jacents de l’évolution de la situation catalane. Il concerne bien plus que les seuls Catalans. Et cette question-là est au fond née du refus de faire un pas, à aucun moment, l’un vers l’autre et vice versa.
L’Etat espagnol leur reproche d’avoir organisé un référendum considéré comme illégal par la Constitution. Le 9 novembre 2014, en effet, une « consultation » avait entraîné quelques 2,3 millions de Catalans à voter dans les écoles, transformées en bureaux de vote. Et une large majorité avait approuvé la proposition d’un référendum pour l’indépendance.
Le successeur d’Artur Mas, Carles Puigdemont, a d’ailleurs promis d’organiser ce référendum dans l’année. C’est ce contexte qui rend la situation électrique. La nervosité est palpable au sommet de l’Etat espagnol. Le premier ministre, Mariano Rajoy, ne venait-il pas d’affirmer qu’en cas de référendum, il requerrait la force pour l’empêcher dans les faits.
Une menace très théorique puisque, pour ce faire, il devrait mobiliser les Mossos d’Esquadres, une police autonome catalane, dont la fidélité à l’Etat reste à éprouver.
Mais ce qui frappe, de prime abord, dans cette affaire, c’est l’impossibilité pour les deux camps de discuter le moindre compromis. Et c’est ainsi depuis 2010.
De cette escalade des initiatives, que résultera-t-il ? Certes le bras de fer reste poli, pas un geste mal placé ne vient encore envenimer une situation dans laquelle il devient, pourtant, de plus en plus évident que personne ne lâchera rien.
L’Espagne doit plus de 20% de son produit intérieur brut aux richesses produites par la Catalogne, véritable cœur économique du pays. Mais elle en lui retourne à peine plus de la moitié en dotations.
Il n’est pas rare d’entendre les Catalans se plaindre du fait que la différence contribue à financer la corruption, largement répandue dans les milieux politiques à travers toute l’Espagne. Nous l’avons constaté lors de notre enquête de 2014 en Catalogne, au moment de la Consulta.
Côté Espagne, vous n’entendrez pas de cri du cœur, tel que celui qu’une communication bien menée, en Grande Bretagne, avait pu lancer lors du référendum écossais de 2014. « Ne nous quittez pas, on vous aime ! » n’est pas exactement la phrase que les Espagnols, irrités par l’attitude catalane, font entendre.
C’est au début de l’été 2010 que la situation a basculé. Jusque-là, certes ce n’est pas un grand amour qui liait les Catalans à l’Espagne, mais on n’aurait pas, pour autant, trouvé une majorité de Catalans pour envisager sérieusement l’indépendance.
Début juillet 2010, pourtant, le Tribunal Constitutionnel Espagnol allait jeter de l’huile sur le feu, et celui-ci ne s’est pas éteint depuis. Les contribuables catalans étaient en effet, alors, sommés de financer l’école privée, en espagnol, des écoliers dont les parents ne souhaitaient pas qu’ils soient éduqués en catalan. En Catalogne, le catalan est en effet la langue d’enseignement public.
Devoir payer pour ceux qui ne veulent pas de l’idiome commun ? La chose est apparue comme une punition humiliante inacceptable. Même si, dans les faits, très peu de gens ont demandé l'application de cette mesure. Une manifestation monstre, le 10 juillet 2010, à Barcelona, a probablement marqué le moment où les Catalans ont versé dans l’indépendantisme. Ainsi, non seulement ils étaient la vache à lait de l’Espagne, mais encore celle-ci leur donnait-elle du bâton.
C’est ce rapport fou qui n’a cessé de s’affirmer. L’Etat espagnol s’est crispé sur une Constitution vécue comme une prison par les Catalans. Les Catalans eux se sont enhardis et ont adopté la position de tous les minoritaires qui ne veulent pas être écrasés, l’intransigeance.
Six ans après, on ne voit plus comment les acteurs de cette tragédie pourraient vouloir changer de logique. Les rodomontades quasi militaires de M. Rajoy en sont l’ultime péripétie. M Mas lui répond, lui, en se drapant dans la condition de justiciable. Il portera avec honneur une condamnation que, sans doute, il souhaite.
Endossant, seul, devant le tribunal, l’entière et exclusive responsabilité de ce 9-N, il devient pour les Catalans, le symbole de cette indépendance désormais voulue.
Cependant, derrière le souhait de plus en plus marqué des Catalans d’obtenir leur indépendance, nous voyons poindre l’intolérance que naguère ils dénonçaient. 250 personnalités du monde des lettres et de l’enseignement n’ont-ils pas réclamé, voici quelques mois, que le catalan soit l’unique langue officielle de la Catalogne ?
Comment se vivrait la séparation ? Quid des familles mixtes, qui sont légion ? Du jour au lendemain des Espagnols se trouveraient-ils étrangers chez eux ? Ces situations ne sont pas sans précédents. Elles ont été vécues voici un quart de siècle par les Tchèques et les Slovaques, et si à l’époque on en a peu parlé, elles n’en ont pas moins affecté des dizaines de milliers de personnes.
L’élévation de nouvelles frontières au XXIè siècle en Europe est-elle souhaitable ?
Enfin, et bien que la situation linguistique soit loin d’être le seul point d’achoppement dans une Catalogne qui ne se veut plus Espagnole, quid des situations où, ailleurs en Europe, l’émergence d’une revendication linguistique apparaît ou prend de l’ampleur ?
Doit-on se résoudre à penser qu’il serait là impossible de vivre ensemble, adoptant et respectant des lois communes ?
C’est bel et bien l’un des enjeux sous-jacents de l’évolution de la situation catalane. Il concerne bien plus que les seuls Catalans. Et cette question-là est au fond née du refus de faire un pas, à aucun moment, l’un vers l’autre et vice versa.
Lundi 6 février vers 10h à Barcelona. Image TV3 DR.